Psychologie

Méthode verbo-tonale : Surdité, aphasie, dysphasie

 

Créée par P.Guberina pour faciliter l’apprentissage des langues, la méthode verbo-tonale a rapidement trouvé son utilité dans l’éducation des enfants sourds

Depuis les années 60, en France, la verbo-tonale est souvent utilisée dans l’éducation des enfants sourds ou de ceux présentant des pathologies langagières telles que l’aphasie ou la dysphasie. Sans toujours l’appliquer dans son intégralité, beaucoup d’orthophonistes s‘en inspirent.

Mais les non initiés, notamment les parents, ont parfois des difficultés à comprendre ce qu’est la verbo- tonale, tant ouvrages et articles sur le sujet sont complexes.

Voici un essai de présentation simplifiée.

A l’origine: la problématique des langues étrangères

En 1934, le linguiste croate Petar Guberina commence ses recherches à l’Institut phonétique de Zagreb. Il s’intéresse à l’apprentissage des langues étrangères avec l’idée que l’oreille valide se comporterait comme une oreille sourde lorsqu’elle reçoit les sons inconnus d’une langue étrangère. Polivanov parlait de « surdité phonologique » (1931).

C’est ainsi que s’explique par exemple la grande difficulté pour un Anglais d’émettre le son « u » inexistant dans sa langue maternelle. Il le prononce comme il l’entend, sous forme de « ou ».

Pour contourner cet obstacle, P.Guberina, en 1952, pose les principes de la méthode verbo-tonale, qui seront ensuite largement utilisés au profit des enfants sourds en Europe:

  • la recherche d’une intelligibilité optimale pour chaque son, en modifiant si nécessaire ses caractéristiques acoustiques (il s’agit, très schématiquement, de sélectionner et de renforcer les traits sonores mal pris en compte spontanément); l’objectif est de faire entendre au mieux;
  • la recherche de contextes facilitant l’émission correcte des sons, mots et phrases d’une langue; l’objectif est de faire parler au mieux.

Apprendre à entendre

Les centres verbo-tonalistes sont équipés d’appareils d’amplification et de filtrage du son (SUVAG) sur lesquels se branchent des casques individuels et des systèmes de transmission vibratoire. Les appareils se déclinent également en versions plus mobiles (mini SUVAG).

Ces procédés sont devenus moins nécessaires depuis l’arrivée des prothèses numériques et des implants cochléaires.

Au-delà de la technologie, la verbo-tonale induit l’organisation d’un contexte phonétique facilitant la perception de chaque son. Une difficulté de reproduction du phonème « t » , par exemple, liée à une réception auditive imprécise, sera améliorée si le son est présenté en début de mot et associé à une voyelle tendue; plutôt dans le mot « tire » donc que dans « bateau », où la tension du son sera moins perceptible.

Les sons placés avant et après renforcent alors les traits caractéristiques du son.

Le corps médiateur dans l’apprentissage de la parole

Parallèlement à l’organisation d’un contexte optimal d’écoute, l’utilisation du corps est le principe verbo-tonaliste qui a sans doute fait le succès de la méthode.

Selon l’attitude corporelle, notamment la tension ou le relâchement des muscles, certains sons sont plus ou moins faciles à produire. Trop tendus ou trop toniques, vous aurez du mal à émettre correctement un « ba » ou un « vou », mais vous articulerez plus facilement un « ti » ou un « ké ».

L’idée est donc d’imaginer des mouvements et postures favorisant l’émission de chaque son et de proposer à l’enfant de les reproduire.

Des mouvements spécifiques pour chaque son

Les premiers mouvements présentés sont des « macro mouvements » qui engagent le corps dans sa globalité: par exemple taper des pieds rapidement en répétant « tatatata » ou faire de larges mouvements circulaires avec les bras associés à des « bou, bou, bou » plus lents. Ce procédé a été nommé « rythme corporel ».

L’idée est que le « macro mouvement » conduit à une meilleure maîtrise du « micro mouvement » articulatoire.

Une deuxième étape réduit ces gestes à des mouvements plus économiques: seule la main intervient alors. Ce peut être par exemple un simulâcre de pincement entre pouce et index associé à un « ti ». Très rapidement, le mouvement peut être traduit sur le papier, laissant une trace visuelle doublement utilisable: bâtons accompagnant la production d’une série de « té té té » ou formes arrondies lors de la production d’un « bo » pourront être relus dans un deuxième temps; l’enfant doit alors répéter les syllabes en suivant le tracé du doigt. Ce procédé a été nommé « graphisme phonétique ».

Des comptines pour enchaîner les sons

La parole n’est pas une simple articulation de phonèmes ou de syllabes. Elle est dynamique, intonée et rythmée. Certains sons se prononcent rapidement ou lentement; des pauses et des accélérations rythment la chaîne parlée. La voix monte ou descend.

La verbo- tonale entraîne cette compétence en proposant à l’enfant sourd la reproduction de suites de syllabes selon des rythmes variés, toujours en mouvement (mouvements corporels ou graphisme phonétique). Ce procédé a été nommé « rythme musical ». On peut ainsi inventer n’importe quelle suite syllabique, parfois en lien avec un mot: « pou, pa, pou, pou, pa, pou, pou, pé, pou, pou, pé, la poupée ».

Sont ensuite introduites des comptines plus rationnelles, comportant des mots et des phrases, selon le même principe, pour approcher le rythme naturel de la parole.

Les jeux verbo-tonalistes ressemblent alors à une sorte de chorégraphie sonore: l’enfant danse sa parole, d’une certaine façon, la dessine ou la « lit ».

Une méthode ludique et créative

Les verbo-tonalistes expérimentés n’utilisent pas de livre de recettes. Les jeux langagiers se construisent de façon adaptée à chaque enfant, en fonction de ses productions, intérêts et difficultés. Les mouvements ne sont pas codifiés; de nombreuses possibilités existent pour chaque situation et le professionnel s’appuie largement sur ses intuitions.

Afin d’autoriser un développement langagier aussi naturel que possible, les premières activités prennent ancrage dans les émissions spontanées du jeune enfant, babillage et premiers mots, qui seront répétés en associant avec les mouvements.

Les jeux moteurs et graphiques sont motivants et moins contraignants que les procédés orthophoniques plus classiques.

…mais qui ne suffit pas

La verbo-tonale a un objectif prioritaire de maîtrise de la parole. Elle prend en compte l’émission, soit l’enveloppe formelle de la langue.

Le bon niveau linguistique du jeune sourd, soit l’assimilation progressive du lexique et de la syntaxe, suppose d’autres approches, notamment celles qui permettent la bonne réception et la compréhension de la langue parlée en situation quotidienne de communication. A ce niveau, la Langue Parlée Complétée (LPC) peut être recommandée.

  • La verbo-tonale aide à maîtriser la parole sous un angle technique.
  • La LPC aide à maîtriser les contenus de langue.