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Nidrâ Yoga : Qu’est ce que c’est, comment pratiquer ?

Nidrâ est un terme sanskrit dont le sens premier est sommeil. Shiva représente le yogi archétypal, la référence ultime de tous les yogis. Son nom «Shiva» signifie «le mourant », non pas celui qui est en train de rendre l’âme, mais cela-même qui est en train de disparaître. Curieusement la tradition annonce que la nature originelle et créatrice de ce qui meurt, est ce fameux état d’éveil, cet état de perception sans séparation. Dans l’état non-duel, en effet, le fait même d’appréhender ou de tenter d’appréhender la non-dualité disparaît. Reste un «état» qui n’en est pas vraiment un, antérieur à toutes les formes de manifestations et qu’on appelle Nidra. Nidra est l’état de « sommeil éveillé» de Shiva.

Par la suite, ont été rajoutées quantités de légendes, dont la plus répandue raconte comment le Nidrâ serait à l’origine du regard de Shiva. Ce serait ce regard emprunt de cette qualité de «sommeil éveillé» qui aurait créé le monde. Afin de bien faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’un regard ordinaire, la tradition le figure avec un troisième oeil.

Ce regard créant le monde contient une double signification. Il laisse d’abord entendre que le regard que l’on porte sur le monde tend à le modifier ; regarder est une action qui transforme. Ensuite, que la nature de ce regard, à l’origine de la totalité du processus de création, se maintient continuellement. Il y a donc création instantanée et poursuite, renouvellement incessant du processus de création. Ce regard de Shiva, origine du mouvement universel porte un nom, on l’appelle darshan.

De son côté, le brahmanisme nous explique qu’une activité inconnaissable et non- localisée rêve le monde ; nous, les humains, sommes les images de ce rêve. Le Nidra Yoga, tout en se situant dans la perspective tantrique, (le monde n’est pas une illusion) propose de devenir attentif à l’énergie du rêve et non pas aux images du rêve. Car en devenant attentif à l’énergie du rêve, nous entrons au coeur de la nature du rêveur, c’est à dire Brahmâ ou Shiva.

C’est pour cette raison qu’en Nidra en particulier et dans tous les yoga-s en général, nous n’analysons que très rarement les rêves. Les images rêvées sont simplement le signe que le mental est agité. Nous nous intéressons davantage au sommeil sans rêve car il semble un passage plus sûr pouvant mener à la nature même du Nidra de Shiva, qui n’est pas différente de la source à laquelle il nous faut retourner.

La pratique

La pratique utilise deux techniques qui d’un premier abord peuvent paraîtrent antagonistes: la relaxation et la concentration. Il existe en effet un état paradoxal, qui est la présence simultanée d’une détente et d’une concentration. Dans un premier temps, nous les prendrons séparément afin de donner une vue générale du déroulement des exercices.

La détente

Avant tout, je voudrais spécifier un peu plus ce terme de relaxation en l’appelant «relaxation très profonde ». Elle consiste à aller rechercher toutes les crispations qui ne sont pas indispensables au fait d’être vivant. Beaucoup de choses ne sont pas indispensables pour être en vie, et toutes ont à voir avec ce que j’appelle « la crispation ». Il n’est pas indispensable d’être crispé pour être vivant!

Dans l’enseignement qui m’a été transmis, l’être se compose de cinq structures ou kosha-s. Nous allons donc nous atteler à les détendre, en partant de la structure la plus extérieure, la plus dense, pour aller progressivement vers les structures intérieures de moins en moins denses.

  • La première structure appelée Anamaya-kosha est traduite par corps de nourriture, elle représente le corps physique et se divise en trois systèmes:
    • Anatomique : la peau, les muscles, les tendons, une partie des nerfs
    • Physiologique : les organes, les systèmes endocrinien et nerveux , la lymphe
    • Osseux: les os plats, les os longs (où se trouve la moelle) et les cartilages
  • La deuxième structure est appelée Pranamaya-kosha, ou corps d’énergie. Le mot prâna a de multiple sens ; il désigne par exemple, le souffle, la respiration, l’énergie, la nature du mouvement. Ici, nous intéresse surtout l’idée d’une dynamique se déployant à travers un tissu de réseaux appelés nadi, ou rivière, pouvant être comparé au réseau d’une centrale électrique hydraulique. Ces nadi d’intensité ou de débit énergétique différents, parviennent à des croisements qui sont des accumulateurs et des distributeurs d’énergie, les chakra-s. Ces rivières et ces centres de distribution sont la plupart du temps encombrés par des résidus qui freinent ou empêchent la circulation de l’énergie, prana.
  • La troisième Manamaya-kosha est le mental, la pensée. Il ne s’agit pas des idées mais du fonctionnement même de la pensée manas qui comprend les associations d’idées, la mémoire, les pensées créatrices, la logique, tout ce qui a à voir avec le processus de la pensée.
  • La quatrième structure, Vynânamaya-kosha, est la connaissance, non le savoir car ce dernier mémorisable (appartient au domaine de la pensée manomaya-kosha. II s’agit d’une connaissance intuitive qui s’apparente à cette capacité que nous avons parfois de savoir les choses sans passer par les moyens physiques habituels, une perception fulgurante qui n’a rien à voir avec la logique, ne dépend d’aucun savoir accumulé ou d’aucune connaissance intellectuelle. Cette intuition est souvent bloquée, crispée et nous allons tenter de la détendre, de lui laisser un peu de champ.
  • La cinquième et dernière structure se nomme Anandamaya-kosha, de Ananda la joie, la béatitude. Concernant cet état, il n’y a pas d’exercice transmissible ; c’est seulement le fait d’avoir une intuition complètement détendue qui peut nous en ouvrir l’accès. Mais, même l’extase peut receler des tensions ! Nous allons également tenter de nous détendre à l’intérieur de ces états extatiques afin de les déployer davantage.

Ces cinq structures sont présentées comme étant limitées (ou délimitées),et en prenant conscience séparément de l’existence de chacune d’entre elles, nous allons nous apercevoir qu’elles sont, en fait, reliées. Ce qui constitue ce lien entre ces structures, « le liant», est quant à lui illimité.
Se déplacer ainsi dans les kosha-s, entraîne inévitablement une quantité d’expériences ; nous en ferons peu cas, le but de cette pratique n’étant ni l’intensité, ni la quantité des expériences aussi étonnantes puissent-elles se révéler, mais uniquement de développer l’aptitude à faire grandir le désir du lien.

La concentration

La concentration, dharana, se définie ici, comme une «concentration pénétrante sans tensions ». Dans un premier temps, nous allons nous servir de la pensée pour petit à petit utiliser seulement l’énergie de la pensée. Les premiers exercices sont tout à fait compréhensibles, les mots employés faisant référence à des objets connus. Il s’agit de se concentrer ici ou là, de visualiser des images simples, des parcours imaginaires… Par la suite, la concentration délaisse les objets formels pour s’orienter sur des concepts, des dynamiques ne possédant plus aucune forme. D’une concentration avec forme, nous glissons naturellement vers une concentration sans forme. Entre un sujet, vous par exemple et un objet, un mur ou un arbre ou une personne, il existe une relation qui s’opère dans ce que j’appelle «la transparence ». La concentration sans forme consiste à pénétrer dans cette transparence avec pour conséquences que l’objet, parfois, disparaît et que le sujet, parfois, disparaît aussi. Ce n’est pas une méthode pour devenir invisible, mais cela en porte la saveur ! Les textes disent que si nous entrons en relation avec la transparence, il se peut que nous ne voyions plus rien, mais aussi que plus rien ne nous voit. Mais là ne réside pas la finalité, il convient de considérer qu’il s’agit là d’une sorte de clin d’oeil en proposition.

Le dernier stade de la concentration est une concentration sur des phénomènes qui ne sont ni perceptibles par le corps et les sens, ni par la pensée, ni par le corps d’énergie, ni par l’état extatique. Il s’agit d’une incursion dans l’impalpable de la Grande Relaxation, c’est un des noms qu’on lui donne. L’ultime concentration est identique à l’ultime relaxation.

Détente-concentration : un état paradoxal

On envisage difficilement d’être à la fois concentré et à la fois détendu. Nous confondons souvent concentration avec crispation et il arrive parfois qu’au bout d’un certain temps, on se retrouve épuisé, comme lorsque vous m’écoutez! D’un autre côté, on remarque que la relaxation nous amène parfois à une détente si profonde que l’on sombre dans le sommeil, là aussi comme lorsque vous m’écoutez! Il y a là deux opposés. Selon le tantrisme les opposés sont reliés. Je dis souvent: ce qui sépare, c’est ce qui relie. Ce n’est pas ce qui préside à la séparation ou ce qui préside à l’union qui nous intéresse mais la nature même de ce qui relie ou sépare, le «liant », terme qui selon moi, pourrait être une traduction acceptable du mot Yoga.

Cet état paradoxal de la présence simultanée d’une détente et d’une concentration est rendu possible par l’attention. L’état d’attention est un état d’intégrité. Lorsque vous êtes extrêmement détendu jusque dans les os, et qu’en même temps vous êtes extrêmement concentré comme une pointe, l’attention devient intense et peu à peu prend toute la place. Il n’y a plus alors ni dedans, ni dehors, il n’y a plus ni de concentration, ni de détente ; il reste seulement cette curieuse perception d’intégrité, les différences sont abolies. Chaque fois que vous êtes invité par cet état paradoxal, réjouissez-vous!
Vivre cet état est faire une incursion dans la dimension sacrée de la vie.

Niveaux

Il n’y a pas à proprement parler d’avancement ou de progression dans cette démarche, mais la nécessité impérieuse d’une structuration intelligible à laquelle on puisse se référer. Nous pratiquons généralement en groupe, mais d’après ce que l’on m’a enseigné, il n’existe pas de groupe, seulement une cohésion. Le groupe est limité, la cohésion infinie.

La Démarche

Le postulat de base est qu’il existe un état d’unité, un état de non-séparation accessible lorsque cesse les mouvements de la pensée. Le yoga est la tentative d’accéder à cet état, d’en faire l’expérience et si possible de s’y installer définitivement.

Pour parvenir à ce but, le yoga propose une multitude de sentiers, chemins, routes et autoroutes sur lesquels le chercheur, en fonction de ses tendances, peut entreprendre sa longue marche. Les manières de marcher sont, elles aussi, nombreuses et variées. Certains foncent la tête la première, d’autres avancent avec constance ou progressent par bonds, tandis que d’autres encore marchent en crabe. Tout ce beau monde s’active, se démène, se contorsionne, s’essouffle ou sprinte au gré de ces capacités et de ces humeurs.

En marge de cette grande migration vers l’illumination, le Nidra pointe une chose étonnante: il existe une démarche qui consiste à s’arrêter de marcher, à dé-marcher (défaire la marche). Le Nidra nous dit très simplement: «Allongez-vous tranquillement, ne faites plus aucun mouvement, détendez-vous et laissez-vous «ravir ». Le but n’est pas au bout du chemin mais sous vos pieds, à l’endroit et à l’instant même où vous vous trouvez ! ». Il s’agit d’une démarche très économique dans laquelle on va cesser de dépenser de l’énergie pour la laisser simplement être. Lorsque le corps s’immobilise et se détend, la pensée qui lui est totalement liée, s’immobilise et se détend. Elle suspend son travail de fabrication permanente de conflits. Pour produire un conflit, il lui suffit de falsifier le réel en le fragmentant en divers aspects, le plus souvent en deux objets opposés qu’elle va appeler très malignement «complémentaires ». Une de ses fonctions favorites est de faire apparaître ces objets, c’est à dire d’objectiver. Objectiver consiste à créer des limites, à désigner cette chose appelée « moi » et à l’éloigner de cet autre appelée «l’autre ». A cerner cette chose appelée « sujet» et cette autre appelée « objet », cette chose appelée «observateur» et cette autre appelée «observé». Quand son activité de séparation s’interrompt, l’objectivité s’ouvre sur la subjectivité. La démarche ne consiste pas à devenir ce que nous sommes déjà, des êtres subjectifs, mais de le reconnaître et de l’accepter. Accepter la subjectivité, c’est entrer dans une conception de la vie dans laquelle les sensations vont apporter une saveur (rasa) nouvelle. Dans le monde des sensations, il n’y a plus de tricherie possible car les sensations sont immédiatement vraies. Tous les exercices du Nidra ont pour finalité de nous faire entrer dans les sensations afin de vivre pleinement ce qu’on est en train de vivre, parce que, à chaque fois que la pensée objective, elle nous éloigne de ce que l’on est en train de vivre.

Nos vies quotidiennes sont le reflet de ce qui se bagarre à l’intérieur de nous. Nous avons fait le constat que changer l’extérieur ne suffisait pas. Pourtant nous sommes devenus extrêmement efficaces dans cette activité, nous avons développé une technologie considérable pour transformer le monde, mais malgré cela nous n’avons pas réussi à mettre un terme à la souffrance. La dé-marche ne propose pas d’essayer de changer quoi que ce soit, même en commençant par l’intérieur. Changer est encore de l’ordre de la volonté, de la crispation. Elle nous demande simplement de «voir », «d’observer», de reconnaître ce que nous connaissons déjà profondément depuis toujours. L’observation est une réconciliation passive, un élargissement passif des limites. Quand les limites s’estompent, la sensibilité s’éveille et nous nous rapprochons de cet état d’innocence propice à l’éclosion d’une confiance sans objet. Une confiance ne reposant sur rien. La tradition prétend que cette confiance sans support est synonyme d’ émerveillement, une joie pure et infinie.

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