La grande découverte de Freud, n’est pas tant l’inconscient en tant que tel, qui fut d’abord une notion philosophique, qu’un inconscient comme un lieu de ce qui est refoulé. Très simplement: ce que l’homme veut ignorer de lui-même il le maintient hors de sa conscience.
L’inconscient Freudien qu’on peut appeler le refoulé n’est pas qu’un lieu (point de vue topique: du grec topos (le lieu) c’est aussi quelque chose qui cherche s’exprimer et à se satisfaire : ainsi si le refoulé est maintenu hors de la conscience par une force, il cherche aussi à s’exprimer et à faire pression pour se satisfaire : Il y a donc là un jeu de force entre deux courants qui s’opposent: l’inconscient comme refoulé c’est aussi un inconscient dynamique (point de vue dynamique). Lorsque Freud parle de refoulement il désigne tantôt les mécanismes de défenses de manière générale, tantôt un mécanisme de défense bien précis. C’est de cette seconde acception dont nous allons parler.
Pourquoi on refoule ?
Freud postule qu’en l’homme des désirs inavouables veulent se satisfaire. Ce quelque chose va à l’encontre de la loi, la morale, les bonnes mœurs et la survie. Ces désirs, à différencier du désir chez Lacan, sont appelés pulsions : elles prennent source dans les zones érogènes et cherchent constamment à se satisfaire. Les pulsions qui sont à la limite du corps et du psychique sont représenté psychiquement par une représentation et un affect. Ce dernier correspond à l’aspect énergétique de la pulsion. Or ce qui est refoulé de la pulsion c’est sa représentation pas l’affect qui a un autre destin. Nous verrons plus de détail sur la pulsion (Trieb en allemand) dans un article qui lui serra consacrer. Retenez donc que ce qui se retrouve maintenu dans l’inconscient c’est sa représentation.
Mais qu’est-ce que la représentation ?
Freud définie d’abord la représentation comme une trace, un souvenir de ce qui va être refoulé. Mais cette question reste problématique et en débat car certains pensent que ça peut être une image, des idées etc. ou un mot, alors que d’autres pensent que ce ne sont que des mots. Ce débat n’est pas anodin car Freud n’est pas très clair là dessus et une certaine façon d’envisager la question de la représentation découlera par exemple l’affirmation de Lacan : « l’inconscient est structuré comme un langage ».
En effet, Freud distingue dans la représentation : représentation de mots et représentation de choses : l’un correspond à ce que Ferdinand de Saussure nomme signifiant (l’empreinte acoustique, le son, la musicalité d’un mot), l’autre au signifié (l’idée, le concept auquel renvoie le signifiant). Or pour Freud, ce qui s’associe dans l’inconscient se sont les représentations de mots (par des techniques comparable aux rébus, mots d’esprit etc.). De plus, dans l’inconscient les mots sont traités comme des choses. Un mot suffit à invoquer la chose. Lacan interprétera ceci comme une domination du signifiant sur le signifié dans l’inconscient puisque le mot suffit à être considéré comme la chose. Autrement dit, la chose disparaît sous le mot: « le mot est le meurtre de la chose. »
Pour d’autres, bien que dans l’inconscient mot et chose coïncident et que l’association se fait par des mots et leurs jeux, ce n’est que parce qu’ils renvoient aux choses à refouler qu’ils sont refoulé. De plus comme l’acquisition du langage est secondaire et demande un certain niveau d’élaboration (processus secondaire), les mots ne peuvent correspondre au processus primaires (ceux de l’inconscient). Lacan considère que nous sommes d’emblée, baigné dans le signifiant et que ce qui correspond a l’acquis secondaire du langage, c’est le langage conscient et non pas le langage inconscient: inconscient égal domination du signifiant sur le signifié. Conscient: l’inverse.
Comment la représentation refoulée peut-elle de nouveau ressurgir ?
Cette représentation va s’associer à d’autres représentations de proches en proches puis à d’autres jusqu’à créer un réseau associatif qui va finir par advenir à la conscience par une représentation associée. Et les représentations qui vont s’associer sont les représentations de mots. Les associations de mots se faisant selon des procédés que l’on retrouve dans le mot d’esprit, le rébus, la poésie. Freud dans une lettre à Fliess expliquera que l’inconscient (le refoulé) profite de l’ambiguïté du langage. Mais ce n’est pas tout, l’inconscient trouve des voies d’expressions également dans le rêve (« la voie royale »), les lapsus et actes manqués ainsi que les symptômes. Ces autres formations de l’inconscient nous permettent d’introduire deux autres conditions : la formation de compromis et le détournement de l’attention (l’attention de la conscience bien sûr). La meilleure métaphore pour comprendre cette tension entre refoulé et son interdit est celle de la négociation (politique et économique par exemple) : Le Moi doit ainsi trouver une solution entre l’exigence pulsionnelle qui cherche coûte que coûte à se satisfaire et ce qui interdit cette satisfaction : ce compromis passe par une déformation du contenu originel détournant ainsi l’attention de l’instance refoulante (Surmoi) tout en maintenant à la fois une satisfaction de la pulsion sur une représentation déformée et un respect des termes du contrat. Le refoulement portant sur une représentation différente mais qui est la primitive de la représentation advenue à la conscience.
Le refoulement primaire et secondaire
Freud, dans son article sur le refoulement[1] postule l’existence d’un premier refoulement. Donc d’une première représentation qui sera refoulée. Ainsi c’est ce refoulement originel (ce que Lacan appellera S1) qui rendra possible le refoulement secondaire ou refoulement à proprement parlé. Cette première représentation refoulée permettra que d’autres représentations s’y associent créant ainsi tout un réseau associatif pouvant cheminer des proches en proches vers la conscience via le préconscient . Une bonne image pour se représenter la chose est de visualiser une chaîne dont les chaînons seraient chaque représentation. Lacan parlera ainsi d’une chaîne signifiante dont le premier bout est un signifiant maître (S1) suivie d’autres signifiants secondaires (S2). Pour Freud sans le refoulement primaire, il n’y a pas de refoulement possible. On peut comparer ce premier temps à une première surface d’inscription où peut s’écrire ce qui va être refoulé. Du coup si le refoulement primaire est empêché et donc impossibilité de refouler par la suite, d’autres mécanismes de défenses viendront prendre sa place comme le fameux verwerfung, traduit puis approfondis par Lacan sous le terme de Forclusion . Bien que Lacan en fait une lecture toute personnelle, il reprend l’idée qu’un contenu est éjecté en dehors du psychique. Ce mécanisme se retrouve par exemple dans le processus psychotique.
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[1]. Métapsychologie (1915) (incluant: « Pulsions et destins de pulsions » (1915), « Le refoulement » (1915), « L’inconscient » (1915), « Complément métapsychologique à la doctrine du rêve » (1915/1917), « Deuil et mélancolie » (1915/1917), et « Vue d’ensemble des névroses de transfert »(1915/1985), in Œuvres complètes, XIII, Paris, Presses Universitaires de France, 1988.
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