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Enfance et obésité en Tunisie : Qu’en dit la psychologie ?

Surnommée batikha par sa grand-mère, Ebtissem, 10 ans, ne comprend pas pourquoi ce surnom est utilisé avec autant d’amour et d’admiration. Batikha ou melon en français fait référence à l’apparence potelée de la petite Ebtissem. Elle reconnait la bienveillance de sa grand-mère lors de l’utilisation de ce surnom mais cela la renvoie aussi à son excès de poids. Cela ne parait cependant pas alarmant puisqu’il y a “plus enrobé” qu’elle à l’école. Lilia est en surpoids, elle est sujette aux moqueries de ses camarades et fait même recours à l’agressivité pour y répondre. Elle perd ses amis petit à petit et devient stigmatisée comme la fille obèse et agressive. « Le regard des autres est lourd à porter mais le regard que l’on pose sur soi est encore plus lourd » témoigne Ebtissem, maintenant jeune femme de 24 ans.

En Tunisie, les enquêtes réalisées révèlent, en 2004 (Skiri et Ben Slama, 2004), que dans la population d’enfants dont l’âge se situe entre 4 et 5 ans la prévalence de l’obésité est de 9,2% sur la région de Tunis.

Les enquêtes révèlent aussi une prévalence de la surcharge pondérale chez les enfants d’âge scolaire de 5% sur la région de l’Ariana en 2002 (Ben Slama et al., 2002) avec une prévalence d’obésité de 7.4% de la population de même âge en 2005 (Bougatef et al., 2005).

Enfance et obésité en Tunisie : Qu’en dit la psychologie ?
Enfance et obésité en Tunisie : Qu’en dit la psychologie ?

En ce qui concerne la population adolescente, une enquête réalisée en 2005 sur la région de Sousse,  a montré que dans un échantillon d’enfants âgés de 13 à 18 ans la prévalence d’obésité est de  3.7% des filles et 2.8% des garçons (Ghanam et al,. 2005).

Ces données épidémiologiques rejoignent les données internationales puisque l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime que l’obésité ou la surcharge pondérale touche  au moins 20 millions d’enfants de moins de cinq ans en  2005. Ce chiffre a doublé en 2013 et révèle que le surpoids a concerné 42 million d’enfants de moins de cinq ans. (Organisation Mondiale de la Santé, 2015).

Le surpoids et l’obésité sont définis par l’OMS comme une « accumulation anormale ou excessive de graisse qui présente un risque pour la santé ». Comment peut-on considérer un surpoids comme un équivalent à l’obésité qui est un si grand mot ?

La distinction entre surpoids et obésité se fait en fonction de l’Indice de Masse Corporelle (IMC). La frontière entre le surpoids et l’obésité est pourtant très fine et le poids de l’enfant peut facilement basculer du surpoids à l’obésité. De plus, les études effectuées universellement utilisent les termes « surpoids » et « obésité » de manière interchangeable. Nous reprendrons le témoignage d’Ebtissem pour répondre à la question d’un point de vue autre que physiologique. « Confrontée à l’image de l’idéal du corps féminin présentée par les médias, je me sentais différente. Je n’aimais pas mon corps ni le regard des autres, même quand ces derniers se voulaient flatteurs ou accompagnés de compliments » dit-elle. «Je n’ai jamais été obèse, pourtant les commentaires sur mon poids ont commencé tôt et ne se sont jamais arrêtés ».

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En effet, Latner et Stunkard (2003) ont démontré, en reprenant l’étude de Richardson et al (1961), que des enfants de 10 et 11 ans jugeaient négativement les images d’enfants obèses, encore plus en 2003 qu’en 1961. Flannery-shroder et Chrisler (1996) rapportent que dès l’âge de 6 à 7 ans les enfants donnent de l’importance à la maigreur et se préoccupent des régimes et de leurs poids. À 6 ans déjà un enfant obèse est jugé paresseux, sale, stupide et peu attractif par ses pairs (Roth et al., 2004). La stigmatisation des enfants en surpoids et obèses commence donc à un âge précoce où les enfants sont particulièrement vulnérables. Être confronté aux préjugés et aux stéréotypes de la part des autres enfants, éducateurs ou parents peut avoir des conséquences sur le développement social, affectif et académique de ces enfants ou encore intensifier certaines conditions médicales telles que l’hypertension et la résistance à l’insuline (Puhl & Latner, 2007).

Des études ont démontré que la présence d’un surpoids chez l’enfant pouvait prédire une mauvaise estime de soi en augmentant la vulnérabilité de l’enfant à une moindre appréciation de son apparence physique et capacités athlétiques (Phillips & Hill, 1998) mais aussi à une mauvaise image du corps et une moindre perception de ces compétences cognitives (Davison & Birch,

2001). Le développement d’une mauvaise estime de soi peut être lié aux moqueries subites de la part des autres enfants (Eisenberg et al., 2003)  et aux critiques effectuées par les parents (Davison & Birch, 2002).  L’estime de soi est encore plus vulnérable lorsque les enfants en surpoids intériorisent les stigmas de la société et croient qu’ils sont eux-mêmes responsables de leur surpoids.

Stigmatisation et moqueries constitueraient aussi un médiateur entre l’obésité et la dépression des enfants et adolescents qui en sont victimes. L’étude d’Anderson et al. (2007) a montré que les adolescentes en surpoids ont quatre fois plus de risque de développer un syndrome dépressif ou des troubles anxieux en comparaison à des adolescentes qui ne sont pas en surpoids. (Anderson et al., 2007). L’obésité adolescente chez les garçons ne permet, cependant, pas de prédire le risque d’une dépression ou de troubles anxieux.

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Le fait que les adolescentes sont plus vulnérables aux conséquences psychologiques de l’obésité peut être mis en lien avec la pression sociale et l’importance du concept de minceur (Anderson et al., 2007) dans la société en question.

La relation entre l’obésité et la dépression est cependant à double sens, et la relation de cause à effet n’a pas encore pu être clarifiée. L’obésité peut augmenter le risque de dépression et la dépression peut à son tour augmenter le risque d’obésité. (Anderson et al., 2007).

Il est donc à la sensibilité de l’environnement des enfants de remarquer les potentiels troubles psychologiques en lien avec leur surpoids. La négligence des parents autant que le manque de stimulation cognitive ont actuellement pu être mis en rapport avec l’obésité. (Roth et al,. 2004)

« Mes parents, et particulièrement ma mère, m’ont beaucoup mis la pression ; ne mange pas ça, fait attention, non pas ça !! alors qu’on ne doit pas complétement privé un enfant.. Je pense que ça aurait été mieux s’ils avaient su mieux me parler » Témoigne Ala maintenant âgé d’une trentaine d’année. « Il serait bien d’apprendre aux parents et aux nutritionnistes, mais surtout aux parents, de communiquer positivement avec leurs enfants souffrant de surpoids. Si on m’avait expliqué les causes de mon surpoids, comment dépasser les tentations, si on m’avait dit que ce n’était pas moi le problème et que ce n’était pas grave de faire des erreurs, que je pouvais quand même y arriver, ça aurait été beaucoup mieux. Je n’étais pas assez mature pour adopter une bonne hygiène de vie et la pression sociétale faisait que je craquais très facilement. »  Ajoute-t-il.

De par l’augmentation de la prévalence de l’excès pondéral chez les enfants tunisiens, il   importerait de questionner les impacts sociopsychologiques de l’obésité dans la population tunisienne, population dont les croyances et les préjugés sur le surpoids sont susceptibles d’être différents de ceux des pays occidentaux. Ceci permettrait aux psychologues tunisiens de développer des approches et des méthodes adaptées afin d’accompagner les enfants et adolescents tunisiens dans leurs parcours vers une hygiène de vie plus saine.

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Références :

Anderson, S. E., Cohen, P., Naumova, E. N., Jacques, P., & Must, A. (2007). Adolescent Obesity and Risk for Subsequent Major Depressive Disorder and Anxiety Disorder: Prospective Evidence. Psychosomatic Medicine, 69 (8), 740-7. Doi: 10.1097/PSY.0b013e31815580b4.

Ben Slama, F., Achour, A., Belhadj, O., Hsairi, M., Oueslati, M., & Achour, N. (2002). Obésité et mode de vie dans une population d’écoliers de la région de l’Ariana. Tunisie Médical, 80 (9), 542-547.

Ben Slama, F., Skiri, H., Ben Romdhane, H., Zouari, B., Halayem, M.B, & Achour, N. (2005). La perception de l’obésité infantile par les mères. Rev. Maghr. Pédiatr., 15(5), 181-186.

Bougatef, S., El Khedim, H., Bergaoui, M., Ben Romdhane, H., & Achour, N. (2006). Prévalence de l’obésité chez l’enfant en âge préscolaire dans le gouvernorat de l’Ariana. Actes du 1er Congrès International de Nutrition de Tunis (pp. 32).

Davison, K. K., & Birch, L. L. (2001). Weight status, parent reaction, and self-concept in five-year-old girls. Pediatrics, 107, 46–53. Doi: 10.1542/peds.107.1.46

Davison, K. K., & Birch, L. L. (2002). Processes linking weight status and self-concept among girls from ages 5 to 7 years. Developmental Psychology,38, 735–748. Doi:  10.1037//0012-1649.38.5.735.

Eisenberg, M. E., Neumark-Sztainer, D., & Story, M. (2003). Associations of weight-based teasing and emotional well-being among adolescents. Archives of Pediatric & Adolescent Medicine, 157, 733–738. Doi:10.1001/archpedi.157.8.733

Flannery-Schroeder, E. C., & Chrisler, J. C. (1996) Body esteem, eating attitudes, and gender-role orientation in three age groups of children. Curr Psychol: Dev, Learn, Pers, Soc 15: 235–248. Doi :10.1007/BF02686880.

Ghanam, A. et coll. (2006). Epidémiologie de l’obésité de l’enfant en Tunisie et dans le monde. Actes du 1er Congrès International de nutrition de Tunis. (pp. 11).

Latner, D.J., & Stunkard, A.J. (2003). Getting worse : the stigmatisation of obese children. Obesity research,11, 452-456. Doi: 10.1038/oby.2003.61

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Phillips, R. G., & Hill, A. J. (1998). Fat, plain, but not friendless: Selfesteem and peer acceptance of obese pre-adolescent girls. International Journal of Obesity, 22, 287–293.

Puhl, R.M., & Latner, J.D. (2007). Stigma, Obesity, and the health of the nation’s children. Psychological Bulletin, 133 (4), 557-580. Doi: 10.1037/0033-2909.133.4.557.

Richardson, S. A., Goodman, N., Hastorf, A. H., & Dornbusch, S. M. (1961). Cultural uniformity in reaction to physical disabilities. Am Sociol Rev 26: 241–247. En ligne : http://www.jstor.org/stable/2089861

Roth, B., Munsch, S., Zumsteg, U., & Isler, E. (2004). Aspects psychologiques de l’obésité infantile et de son traitement. Paediatrica, 15 (6), 20–31. En ligne : http://www.swiss-paediatrics.org/sites/default/files/paediatrica/vol15/n6/pdf/29-31.pdf