De la musique à la musicothérapie
(par Juliette Tourret, musicothérapeute, fondatrice de L’oreille du coeur)
Lequel d’entre nous n’a pas éprouvé les vertus de la musique sur l’esprit ?
Que ce soit en l’écoutant ou en la pratiquant, la musique suscite au cœur de l’être tour à tour apaisement, tension et relâchement. Elle nous stimule autant qu’elle nous saisit ; nous émeut autant qu’elle nous irrite ; nous enthousiasme autant qu’elle nous bouleverse ; elle nous arrache à la désespérance et nous remet en mouvement.
La musique, maîtresse mystérieuse de nos chagrins les plus intimes, de nos joies indicibles, de nos colères refoulées ou de nos heures de gloires, auréole nos vies et participe de chacune de nos respirations depuis la nuit des temps. Elle nous unit, nous relie, nous rassemble par delà les frontières du langage. En place de l’indicible, elle œuvre à l’émergence d’une parole perdue. Elle est une naissance perpétuelle de l’être à lui-même qui invite à la paix. Elle est la trace tangible et pourtant insaisissable de nos mouvements internes, instigatrice de la danse des cœurs. Depuis des millénaires la musique est utilisée pour exprimer, accompagner et soulager les chants blessés de l’âme humaine.
La neuroscience se penche depuis quelques années sur ce mystère avec un intérêt croissant, et commence à mettre en lumière les effets de la musique sur la santé ; non seulement sur l’esprit mais aussi sur le corps. De plus en plus les institutions font appel à une nouvelle pratique de soin qui se sert de la musique pour apaiser la douleur, stimuler des fonctions cognitives ou intellectuelles, œuvrer au renforcement de l’estime de soi.
Peu à peu les consciences s’ouvrent à ce que l’on appelle la musicothérapie.
Mais au fait c’est quoi la musicothérapie ?
La musicothérapie est une pratique de soin, dʼaccompagnement qui utilise le son et la musique sous toutes ses formes en tant que moyen d’expression et de communication. Elle a pour but dʼaider à rétablir et/ou maintenir la santé psychique et physique. Il s’agit d’une approche globale qui met en jeu le corps, la sensorialité, l’affectivité ainsi que les facultés intellectuelles et mentales.
En musicothérapie, le son et la musique constituent les médiateurs dans la relation entre le patient et le musicothérapeute. Le recours à l’expression musicale distingue la musicothérapie des autres formes de thérapie. Cette particularité se fonde notamment sur les qualités de pénétration et de contact du son, tels que les rythmes, mélodies, vibrations, silences, mouvements harmoniques. Elle se fonde aussi sur ses effets physiologiques ; sur son pouvoir d’évocation, d’association et d’éveil des émotions ; sur son potentiel de stimulation de la créativité et d’accès à une dimension spirituelle. L’expérience sensorielle sonore réalisée dans le cadre de ce processus favorise l’émergence de contenus intérieurs tels les affects, les tensions et les conflits latents. Elle facilite le remplacement progressif des mécanismes de défense pathologiques par l’introduction d’attitudes plus adéquates.
Elle peut être vivement envisagée chez les enfants, adolescents, adultes présentant des difficultés liées à des troubles psychiques, sensoriels, physiques, neurologiques, en difficulté psycho-sociale ou souffrant de douleurs chroniques.
Elle est pratiquée en groupe ou en séances individuelles. On distingue deux approches :
L a m u s i c o t h é r a p i e a c t i v e
est axée sur des productions sonores au moyen de la voix, les percussions ou tout autre instrument. Le sujet devient créateur et s’exprime à travers la musique et les sons. Cette pratique découle généralement de pédagogies actives (inspirées de celles de Carl Orff, Edgar Willems ou Émile Jaques-Dalcroze).
L a m u s i c o t h é r a p i e r é c e p t i v e
est fondée sur l’écoute d’extraits musicaux ou de sons (sonothérapie). Le programme sonore est établi après un entretien et un test de réceptivité musicale comme celui du docteur Jacqueline Verdeau-Pailles. Selon la technique établie par Jacques Jost et Edith Lecourt, une séance de musicothérapie réceptive associe trois fragments d’œuvres musicales dont l’audition successive constitue trois étapes thérapeutiques : apaisement, détente, relaxation.
Pas de musicothérapie sans musicothérapeute
« En écoutant de la musique, vous secrétez de la morphine qui apaise la douleur. Sous cet angle, la musique s’apparente à un médicament » explique le neurologue Pierre Lemarquis. La musique est ici comparée à une molécule qui pourrait être prescrite à l’instar d’un antidouleur ou tout autre remède chimique pour traiter certaines affections en dehors de la relation humaine.
Or, si la musique recèle de vertus intrinsèques qui participent à l’amélioration de l’état émotionnel, psychique et physique de la personne, elle n’en demeure par moins une médiation qui sert la relation thérapeutique instaurée entre le patient et le musicothérapeute, lequel adaptera sa prise en charge (musicothérapie active ou réceptive, choix de la médiation sonore, des musiques utilisées) en fonction de l’histoire du patient et des spécificités de sa pathologie. La musicothérapie s’inscrit dans un processus engagé dans le temps et l’apparition d’une relation de confiance entre le patient et le musicothérapeute. On se saurait réduire la musicothérapie en l’élaboration d’un protocole de soin standardisé répondant au même titre qu’une molécule de façon systématisée à des troubles spécifiques.
Comme le souligne Hervé Platel, professeur de neuropsychologie à l’Université de Caen : « La simple exposition d’un sujet à l’écoute de la musique n’est pas de la musicothérapie. On parle de la musicothérapie lorsqu’il s’agit de l’application des soins dans un contexte thérapeutique, avec l’intervention d’une personne qualifiée : un musicothérapeute. »
Bien que le métier ne soit pas encore reconnu en France, il suppose une formation*1 spécifique d’au moins 350 heures d’enseignement théorique sur deux ans et 200 heures de stage minimum, selon les critères requis par la Fédération Française de Musicothérapie. En outre, il requiert des qualités relationnelles, d’adaptation et de créativité particulièrement développées. On ne s’improvise pas musicothérapeute.
« Les effets cliniques de la musicothérapie manquent encore aujourd’hui de preuves scientifiques, de preuves physiologiques de l’impact de la musique sur la santé. Mais les études de validité se multiplient, et l’apport des neurosciences dans les prochaines années sera déterminant dans la reconnaissance du statut des musicothérapeutes » précise Hervé Platel.
Témoignages
Si les preuves scientifiques des bienfaits de la musicothérapie sont encore insuffisantes pour accéder à une reconnaissance officielle, la parole des personnes directement concernées par cette pratique est quant à elle foisonnante. Cette parole est le reflet précieux, certes subjectif, mais incontournable des effets-mêmes de la musicothérapie sur la personne. Je vous propose de découvrir quelques unes des
réflexions qu’il m’a été donné d’entendre au cours de ma pratique*2 :
« Les médicaments endorment les rêves, la musique les réveille ! »
« Quand je joue du piano je ne pense pas à penser. »
« Pouvoir jouer certains accords certaines notes avec l’intonation que je veux leur donner ça m’aide à mettre un mot sur ce que je ressens. Je lâche toute la noirceur que je peux éprouver. Le piano me permet de libérer toutes ces choses sans faire de mal à personne. »
« Les médicaments ça m’aide mais c’est un peu artificiel… Ça me fait perdre le fil de mes pensées. La musique c’est au-delà. Nos séances de musicothérapie sont très importantes pour moi. Ça me permet de rester dans le contexte de ma musique. »
« Le docteur psychiatre a baissé mon traitement. Vous me remettez dans la vie. »
« Nos séances de musicothérapie me font oublier de fumer. »
« Ça détend et ça réveille en même temps du coup il y des choses qui sortent toutes seules. »
« Quand je joue du piano j’ai les pensées au repos. »
« Ça me libère de mes mauvaises pensées. »
« Aujourd’hui on a fait de la musicothérapie en parlant. »
« Vous me redonnez la normalité avec la musique. »
Comme nous le rappelle Oliver Sacks, éminent neurologue ayant consacré une grande partie de ses travaux à la question du rapport entre le cerveau et la musique :
« Un soi reste mobilisable, quand bien même il ne peut répondre à aucun autre appel qu’à celui de la musique. »
Quels que soient les troubles, les atteintes du cerveau ; quelles soient la misère et la désespérance qui nous ravagent il y a en l’Homme quelque îlot de clarté que la musique seule sait raviver nous invitant à cette extraordinaire aventure : la rencontre avec soi-m’aime.
C’est notamment cette aventure que la musicothérapie propose de vivre.
Pour aller plus loin :
- JOST, J. Équilibre et santé par la musicothérapie, Albin Michel, 1990
- LEMARQUIS, P. Sérénade pour un cerveau musicien, Odile Jacob, 2009.
- OLDFIELD, A. La musicothérapie interactive – Une approche nouvelle avec des enfants autistes et polyhandicapés et leur famille -, L’Harmattan, 2012
- LECOURT, E. Découvrir la musicothérapie, Eyrolles, 2005
- SACKS, O. Musicophilia – La musique, le cerveau et nous, Éditions du Seuil, 2009
- STAMMLER, A. Handicap mental profond et musique, Éditions CampagnePremière/, 2009, 2014
*1 Formations agréées par la Fédération Française de Musicothérapie :
- Université Paris Descartes
- Université Montpellier III
- Université Nantes
- Centre International de Musicothérapie (Noisy-le-Grand)
- AMB (Dijon)
*2 j’accompagne des personnes essentiellement atteintes de troubles du comportement, de psychoses, de handicaps psychomoteurs lourds dont les capacités relationnelles sont très altérées, au sein d’une Maison d’Accueil Spécialisée et en libéral.
Juliette Tourret, musicothérapeute dans une Maison d’Accueil Spécialisée à Paris, auprès de personnes atteintes de psychoses. Je vous invite par ici pour en savoir davantage : http://www.juliettetourret.com