Enfants

Les enfants précoces : Qu’est ce qui pose problème ?

Oui, parce qu’on ignore trop souvent les problèmes, bien réels, que peut leur poser leur avance intellectuelle.

Il n’écoute rien en classe. Il rêve ou bien s’agite, déteste écrire et a du mal à se faire des amis… D’ailleurs, il ne veut plus aller à l’école. Sa maîtresse invoque un manque de maturité. Ses parents sont surpris : à la maison, leur petit garçon leur semble éveillé, curieux, si désireux d’apprendre !
Et s’il était précoce ? Comme d’autres parents, cette interrogation les a décidés à lui faire passer des tests d’intelligence. Non dans l’espoir d’entendre que leur enfant a un QI (quotient intellectuel) exceptionnel, mais pour comprendre « ce qui ne va pas ».

Tous les enfants intellectuellement précoces ne sont pas malheureux, pire, « handicapés » comme on l’entend parfois. Certains – et ils échappent aux statistiques car ils ne font pas parler d’eux – sont bien dans leur peau, mènent une scolarité satisfaisante sinon brillante, une vie sociale et des relations familiales sereines. Mais, comme le dit Olivier Revol, pédopsychiatre (auteur de « Même pas grave ! L’échec scolaire ça se soigne », éd. J.C. Lattès), « Si beaucoup vont bien, d’autres sont déprimés, irritables, mis à l’écart des copains et, paradoxe, ils échouent à l’école. » Comme cet élève, ils ont besoin avant tout d’une meilleure compréhension de ce qui fonde leur spécificité intellectuelle et affective.

 

Un fonctionnement cérébral différent

Dès qu’il commence à parler (souvent tôt et bien), la curiosité de l’enfant précoce l’entraîne à multiplier les questions et à se passionner de bonne heure pour de nombreux sujets, avec une prédilection pour les thèmes relatifs à la vie, la mort, l’univers… Doté d’une excellente mémoire, il apprend vite, raisonne à toute allure, ce qui peut le conduire sur les chemins de la lecture (parfois seul) et du calcul avant le CP. Les spécialistes mettent également en avant son humour, son horreur de l’injustice et de la routine, voire de l’autorité sous toutes ses formes. On le dit également imaginatif, facilement critique, mais aussi hypersensible et émotif. Enfin, il s’ennuie à l’école et peine à se faire des amis.

Ce portrait reste à nuancer pour échapper aux stéréotypes : il n’y a pas un profil unique d’enfant précoce. Tous n’ont pas parlé tôt, tous ne sont pas des fondus du système solaire ; certains ont appris à lire au CP, et il leur arrive même d’aimer l’école et d’y avoir des copains. Néanmoins, la conjonction de plusieurs de ces caractéristiques peut mettre la puce à l’oreille…

Ce qui signe avant tout la précocité, c’est la fulgurance de la pensée : « Ces enfants ont la faculté d’établir rapidement des liens entre diverses informations, d’en associer des éléments, et de faire des raisonnements analogiques poussés », affirme Olivier Revol.
Ce fonctionnement cérébral différent reste assez mystérieux, voire indéfinissable. En témoigne cet embarras sémantique : doit-on dire précoce, surdoué, enfant à haut potentiel ? La nature ayant horreur du vide, c’est dans ce flou que s’engouffrent les clichés, confondant à tort avance intellectuelle avec génie, premier de la classe ou… singe savant !

On en oublierait que les surdoués sont des enfants. Avec les multiples facettes de leur personnalité, leur environnement familial et social, leurs rythmes, leurs besoins, leurs envies. « Ils ne sont pas tout à fait des enfants comme les autres, mais comme les autres ce sont des enfants », dit Olivier Revol.

Une sensibilité exacerbée

A cette forme d’intelligence différente s’ajoute un comportement affectif particulier, marqué par l’angoisse. « Les enfants précoces que je rencontre sont anxieux, poursuit Olivier Revol. L’intelligence est anxiogène parce qu’elle fait l’effet d’une loupe. Les précoces ressentent tout intensément, perçoivent ce qui se passe autour d’eux avant les autres. Cela les met en difficulté car, si leur intelligence leur donne cette perception fine et intuitive des êtres et des choses, ils n’ont pas la maturité affective nécessaire pour y faire face. Ils se posent nombre de questions existentielles qui les angoissent d’autant qu’ils ne savent pas avec qui en parler. Cela s’accompagne d’empathie : ils ressentent les émotions d’autrui, avec toujours cette même intensité. Pour se défendre contre une marée d’émotions, de questions, d’angoisses, quelques uns risquent de développer des phobies, voire des TOC. »

Du côté des parents, on note fréquemment des difficultés de sommeil, des colères inexplicables, un perfectionnisme pesant, une intolérance à l’échec, un comportement d’écorché vif, un manque d’autonomie affective, et un caractère facilement opposant : « Il argumente sans fin pour avoir le dernier mot, hurle de rage si ce qu’il fait n’est pas parfait, se désespère pour des petits riens… Il est sans cesse dans l’excès, le “trop””, soupire sa maman.
Pas toujours facile au quotidien ! “Les enfants anxieux ont besoin d’être écoutés, compris, qu’on les aide à verbaliser ce qu’ils ressentent, parfois avec l’aide d’un psychologue”, conseille Olivier Revol. Plus que les autres, également, ils ont besoin d’un cadre à la fois ferme et rassurant, contenant deux axes essentiels : tenir bon sur les limites et les règles imposées ; encourager, valoriser les efforts accomplis car, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ils manquent souvent de confiance en eux.

De l’intérêt des tests de QI

Sans être un passage obligé, les tests de QI permettent de lever les doutes sur la précocité d’un enfant et, surtout, de mieux comprendre ses éventuelles difficultés. En gros, ils évaluent la maîtrise du langage, le raisonnement, la logique, la perception et la représentation de l’espace, et permettent de situer l’enfant par rapport à sa classe d’âge et un QI moyen établi globalement à 100, le seuil de la précocité étant établi à 125-130.
Les épreuves prennent leur sens quand elles sont décodées par l’observation du comportement de l’enfant. Leur interprétation étant ainsi la clé d’une meilleure compréhension de celui-ci, il est préférable de s’adresser à un psychologue diplômé spécialiste du surdouement, en faisant marcher le bouche à oreille sur les forums de parents d’enfants précoces, ou en s’adressant aux associations.

« Il faut savoir également que le psychologue a obligation de donner les résultats aux parents, cela fait partie du code de déontologie. L’enfant n’a pas besoin d’un chiffre, mais d’explications lui aussi. Elles vont le rassurer, le valoriser car, lorsqu’il arrive dans le cabinet du psychologue, c’est qu’il ne va généralement pas bien », remarque la psychologue Dana Castro (auteur de « Ca va pas fort à la maison » éd. Albin Michel).
Néanmoins, les tests de QI n’expliquent pas tout. « Attention, met en garde la spécialiste, l’enfant ne se résume pas à un chiffre ! Il est nécessaire que les parents comprennent que les tests de QI leur permettront essentiellement de mieux comprendre les points forts et les points faibles de leur enfant, où se situent ses éventuelles difficultés. » Les résultats obtenus aux différents subtests, en effet, ne sont pas toujours homogènes. Il est même plus fréquent qu’ils ne le soient pas. Selon les spécialistes, plus l’écart entre les résultats est grand, plus cela peut induire des difficultés pour l’enfant : problèmes de repérage dans l’espace, inhibition, par exemple.

Le premier, Jean-Charles Terrassier a introduit la notion de dyssynchronie comme caractéristique de la précocité intellectuelle, source éventuelle de mal-être. Cette dyssynchronie comporte deux aspects essentiels : le décalage entre l’intelligence et l’affectivité (un enfant, par exemple, peut avoir plusieurs années d’avance sur le plan du raisonnement intellectuel et une affectivité de son âge, voire en dessous) ; le décalage entre l’intelligence et la psychomotricité. A cela, on peut ajouter d’éventuels autres « dys », relativement fréquents : dyslexie, dysorthographie, dysgraphie…
C’est pourquoi, bien souvent le parcours ne s’arrête par là : outre la mise en place d’un éventuel suivi psychologique, l’enfant peut être dirigé vers un psychomotricien, un graphothérapeute, un orthophoniste, un neuropédiatre… Avec, pour les parents, le sentiment de médicaliser la précocité de leur enfant.

Saut de classe ou non ?

Sur le plan scolaire, la solution la plus couramment adoptée est le saut de classe. Il a ses avantages : en proposant à l’enfant un niveau d’apprentissage plus élevé, on le met en situation d’expérimenter l’effort, tout en espérant qu’il s’intégrera mieux parmi des camarades plus âgés. Olivier Revol y voit un autre bienfait : “en évitant à l’enfant de s’ennuyer trop profondément, on lui épargne le désagrément d’être envahi de pensées anxiogènes.”

Pour autant, un saut de classe ne doit pas être systématique, mais réfléchi, discuté au cas par cas avec l’équipe éducative et le psychologue qui a testé l’enfant. Même si l’avance intellectuelle est grande, un saut peut le mettre en difficulté lorsque, par exemple, il connaît des problèmes graphiques trop importants, ou ne veut pas quitter les deux bons copains qu’il s’est fait.
Reste qu’il n’est pas toujours facile d’aborder le sujet… Les enseignants restent malheureusement peu informés et il peut s’avérer délicat de les convaincre qu’un surdoué puisse être mal à l’école. « Il vaut mieux ouvrir le dialogue sur les problèmes que pose l’enfant en classe (souvent graphiques et/ou comportementaux, conseille Olivier Revol. Puis glisser ensuite qu’à la suite d’un bilan “on s’est aperçu de certains points forts : il apprend et comprend rapidement ».

Pour aller plus loin

Des livres :

• « L’enfant doué« , Arielle Adda et Hélène Catroux (Odile Jacob)
• « L’enfant surdoué« , Jeanne Siaud-Facchin (Odile Jacob)
• « Les enfants surdoués« , Jean-Charles Terrassier (ESF)

Isabelle Bauer est journaliste indépendante spécialisée dans la presse parentale. Elle est également rédactrice et travaille pour plusieurs maisons d’éditions parisiennes, dans les domaines « psychologie » et « sciences humaines ».