Psychologie

Genèse de l’autisme et l’abord psychanalytique

Genèse de l'autisme et l'abord psychanalytique
Genèse de l'autisme et l'abord psychanalytique
Genèse de l’autisme et l’abord psychanalytique

Le terme «autisme» vient du grec auto qui signifie «soi-même». Il fut employé pour la première fois en psychiatrie en 1911 par le psychiatre suisse Eugen Bleuler dans son ouvrage sur le Groupe des schizophrénies. Selon Bleuler, il désigne chez les schizophrènes adultes la perte du contact avec la réalité qui rend difficile, voire impossible la communication avec autrui. Plus tard, d’autres auteurs le décriront comme un symptôme particulier, non spécifique de la schizophrénie.

L’autisme de Kanner

En 1943, dans son article intitulé Autistic Disturbance of Affective Contact, le psychiatre américain L. Kanner décrira sous le terme d’autisme infantile précoce un tableau clinique caractérisé par l’incapacité pour le petit enfant, dès sa naissance, d’établir des contacts affectifs avec son entourage. Kanner insiste sur la spécificité de ce symptôme, et son souci fut d’en faire un syndrome clinique à part entière, que son mode d’apparition et son évolution distinguaient radicalement de la schizophrénie. «Ce n’est pas, disait-il, comme dans la schizophrénie adulte ou infantile, un commencement à partir d’une relation initiale présente, ce n’est pas un retrait de la participation à l’existence d’autrefois. Il y a, depuis le départ, une extrême solitude autistique qui, toutes les fois que cela est possible, dédaigne, ignore, exclut tout ce qui vient de l’extérieur.»

Kanner, dans sa description a, en effet, isolé un certain nombre de signes cliniques caractérisant cette forme de psychose qu’est l’autisme: il note ainsi 1) le début précoce des troubles (généralement dans les deux premières années de la vie); 2) l’isolement extrême: l’attitude de l’enfant est marquée par son indifférence extrême et son désintérêt total vis-à-vis des personnes et des objets; 3) le besoin d’immuabilité; 4) les stéréotypies gestuelles, gestes répétés inlassablement, dont certains apparaissent étranges et caractéristiques, tels que remuer les doigts devant le visage, marcher sur la pointe des pieds, tournoyer sur soi-même, se balancer d’avant en arrière, etc.; 5) les troubles du langage enfin: soit l’enfant est totalement mutique, soit il émet des sons qui ont la mélodie du langage sans en avoir la signification, soit il possède un langage, mais dépourvu de valeur communicative, marqué par l’écholalie (répétition en écho des mots ou des phrases des autres), par l’incapacité de manier les pronoms personnels, et par l’invention de néologismes. Kanner insistait également dans sa description sur l’intelligence et la mémoire souvent remarquables de ces enfants, traits qui distinguent l’autisme de toutes formes d’états d’arriération décrits antérieurement en psychiatrie.

Peu à peu, à la suite de Kanner, certaines affections furent regroupées sous le terme générique de psychoses infantiles précoces présentant les même symptômes que ceux décrits par Kanner: en 1957, Margaret Mahler a décrit la psychose symbiotique dont elle précise les particularités: 1) elle débute dans la seconde année de la vie de l’enfant, et elle est précédée d’une phase normale de développement; 2) son apparition se fait à certains moments clés marqués par l’abandon de la fusion symbiotique avec la mère. Elle est caractérisée cliniquement par une angoisse massive d’annihilation qui répond à ces expériences de séparation et s’inaugure par l’apparition d’une brutale désorganisation de la personnalité avec perte de langage et apparition de symptômes psychotiques.

La description de F. Tustin

En 1977, la psychanalyste anglaise Frances Tustin (Autisme et psychose de l’enfant) proposa de classer les autismes en trois groupes.

1– L’autisme primaire normal: sorte de prolongation anormale d’un autisme primaire normal, cette forme, qualifiée d’« amibienne » par Tustin, serait caractérisée par le fait que, chez le bébé, n’existerait aucune possibilité de différenciation de son propre corps et de celui de sa mère, ni de délimitation de la surface corporelle. Le fonctionnement mental s’organiserait autour de sensations très primitives et cette forme serait due à une carence dans le domaine du premier nourrissage.

2– L’autisme secondaire «à carapace»: cette forme semble correspondre à l’autisme de Kanner. Il n’y aurait plus, là, indifférenciation entre le moi et les autres, mais au contraire une surévaluation de cette différence. Il y aurait création d’une véritable barrière autistique une sorte de carapace destinée à protéger et interdire l’accès au monde, terrifiant. Le corps de l’enfant serait raide, et insensible, l’activité fantasmatique pauvre, et la pensée inhibée.

3– L’autisme secondaire régressif: cette forme d’autisme constitue la schizophrénie infantile. Après une évolution apparemment normale, apparaîtraient des manifestations régressives, avec retrait de l’enfant dans une vie fantasmatique riche centrée sur les sensations corporelles. Les auteurs français (R. Misès, S. Lebovici), ont apporté leur contribution à la recherche des maladies psychotiques précoces, en intégrant en leur sein les «psychoses à expression déficitaire» ou les «distorsions psychotiques de la personnalité». D’autres (M. Soulé, D. Houzel) se sont attachés plus particulièrement au fait de repérer les signes très précoces d’évolution psychotique dans la dyade mère-enfant: refus du biberon, insomnies avec mouvements auto-agressifs ou au contraire calmes, non apparition du sourire au 3e mois et de l’angoisse du 8e mois, inintérêt pour les jouets et intérêt exclusif pour les jeux de mains devant les yeux etc.

Genèse de l’autisme

L’étiologie de l’autisme a donnée lieu à des controverses passionnées entre ceux qui y voyaient une maladie de type organique, et ceux qui le considéraient comme une affection d’ordre psychique.

Dans le domaine génétique, certaines conclusions permettent de ne pas exclure l’importance et la possibilité d’une influence héréditaire, mais elle est loin d’être exclusive. D’autre part, Kanner, après avoir été attiré par une approche psychanalytique centrée sur la relation mère-enfant dans cette maladie, avait lui-même penché vers une explication fonctionnelle et comportementaliste dont le modèle était constitué par le fonctionnement des réflexes conditionnés, puis ses thèses devinrent finalement de plus en plus affirmatives quant à la causalité organique de l’autisme infantile précoce. Il s’opposa alors violemment à Bruno Bettelheim. Fermé à toute recherche psychanalytique, il confia alors aux biologistes le soin de trouver l’origine de sa découverte.

Le cadre le plus étriqué de cette polémique sur l’origine de l’autisme fut fourni par le behaviorisme: reprenant le mythe de l’enfant-loup, l’école comportementaliste américaine voulut faire de l’autiste une sorte de victime du réflexe conditionné: si des enfants avaient été retrouvés sans langage et à l’état d’errance animale, c’est qu’ils avaient été perdus puis recueillis par des animaux sauvages sur lesquels ils avaient calqué leur comportement. Bettelheim, vers 1955, avait souligné l’absurdité de cette thèse. Il contestait à la fois l’hypothèse de Kanner de la primauté de l’inné et voyait avant tout, dans l’autisme, une réaction de défense de l’enfant à une «situation extrême» ressentie par lui comme devant le conduire inéluctablement à la mort.

Abord psychanalytique de l’autisme

Un abord de ce type défait la pureté nosographique du syndrome de Kanner dans son acception médicale. Il repose aussi sur un paradoxe, dans la mesure où l’on peut se poser la question de la façon d’appliquer la psychanalyse à une maladie qui interdit l’accès à toute demande, puisque le langage n’y a pas pris corps. C’est la raison pour laquelle cette approche varie considérablement en fonction des écoles et des courants de pensée qui les animent. C’est ainsi que l’autisme pathologique sera imputé à une rupture prématurée d’un enveloppement débordant qui sera tour à tour fusion imaginaire avec la mère pour Frances Tustin, symbiose naturelle entre la mère et l’enfant pour Margaret Mahler, consensualité chez Donald Meltzer, et «rapport de mutualité» pour Bruno Bettelheim qui n’acceptera jamais la thèse d’un autisme normal.

Quoi qu’il en soit, on peut se demander ce qu’il en est du traitement psychanalytique de l’autisme, et Bettelheim nous en donne un exemple: la création, puis l’essor de l’École orthogénique de Chicago vers 1950, est à cet égard, significative: Bettelheim envisage l’autisme d’un point de vue psychogénétique comme l’arrêt total du développement de la personnalité à un niveau préverbal et prélogique, qui se manifeste à l’origine par le blocage de toute activité du nourrisson dans ce qu’il appelle le «rapport de mutualité mère-enfant». Ce qui constitue son originalité est de rapprocher l’expérience autistique de celle vécue dans les camps de concentration nazis par des individus exposés en permanence à la menace de «situations extrêmes», notions qu’il développe dans son ouvrage la Forteresse vide. C’est à partir de là qu’il va tenter de construire dans son école un univers thérapeutique total, lieu où renaître, en tous points opposé à ces lieux de destruction que sont les camps, les hôpitaux psychiatriques ou les familles d’enfants autistiques. Ce qui est visé précisément, c’est l’abandon par l’enfant de ses symptômes constitués par des défenses justifiées par son histoire, par la mise en place d’une expérience émotionnelle thérapeutique, dans un environnement totalement favorable, lui permettant de parvenir à la reconstruction de son rapport à la réalité, et le chemin de son désir.

Voir également le syndrome d’Asperger

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